Alien Isolation – La Série : interview de l’équipe

Début mars 2019, 20th Century Fox diffusait sur le site IGN une mini-série tirée d’Alien Isolation ; une manière de rendre ce récit accessible aux fans de la saga qui n’auraient pas encore mis la main sur l’excellent survival horror créé en 2014 par The Creative Assembly. Visibles à cette adresse, les sept épisodes de la série animée semblent au premier abord se contenter de recycler les cinématiques du jeu, ce que s’empressent de dénoncer des hordes de gamers enragés sur les réseaux sociaux. La vérité est beaucoup plus complexe, puisque de nombreuses séquences ont été conçues de toute pièce pour le projet, et la narration (qui met en scène la fille d’Ellen Ripley) a été retravaillée en détails afin de proposer une expérience à la troisième personne – soit très différente de celle qu’induit un First Person Shooter. Après quelques recherches, nous avons découvert que les initiateurs du projet sont français. Nous nous sommes donc empressés de leur tendre un micro…

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Les origines
Julien Mokrani (creative producer) : J’ai rencontré l’un des producteurs Antoine Cardon au festival de Venise où il présentait en sélection une adaptation d’Alice au Pays des Merveilles en théâtre immersif VR. Ça a été un choc. J’ai tout de suite voulu travailler avec lui! Pour ma part, j’y étais pour financer mon premier projet en VR : Lights, une expérience narrative et en temps réel. Je venais juste de participer à la création du studio Get Rec à Ubisoft Paris, spécialisé dans la conception de bandes-annonces tournées 100% en temps réel. Non pas dans l’éditeur, mais bien directement en utilisant le jeu et son moteur. Quelques mois plus tard, Antoine me proposait de partir avec sa société DVGroup à Los Angeles pour rencontrer l’équipe de FOX Next et leur partenaire de production Reverse Engineering Studios (RES) pour discuter d’une envie autour de la licence Alien Isolation avec une technologie de temps réel.

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Dessin de production de Stéphane Levallois

Concept & Développement
JM: Fox voulait raconter l’histoire du jeu vidéo Alien Isolation sous forme d’une mini série d’animation en 7 épisodes de 10 minutes à proposer gratuitement sur internet pour permettre au public le plus large de connaître l’histoire d’Amanda Ripley. Et pour cela, nous devions utiliser les cinématiques du jeu, des phases de game play ainsi que du footage original. Tout le défi étant que le jeu est en vue à la première personne. J’ai monté la core team française pour DVgroup avec en tête le réalisateur Fabien Dubois, avec qui j’avais collaboré à de nombreuses reprises et Stephane Levallois qui nous a peint de magnifiques keyframes en aquarelle afin de proposer une accroche narrative et visuelle des séquences inédites du récit-cadre dans l’espace.

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Dessin de production de Stéphane Levallois

Fabien Dubois (réalisateur) : Je viens du live, mais lorsque Julien m’a contacté en me parlant d’un projet de série d’animation digitale dans l’univers d’Alien, j’avoue qu’après la mention du titre de ce film, je n’ai plus rien écouté. Alien! OUI! Clairement, tout était à faire techniquement et ça allait être un gros challenge. Au vu du budget alloué, nous devions obligatoirement réutiliser les cinématiques du jeu comme structure narrative et utiliser le gameplay de ce dernier comme fondation pour développer l’histoire, la marge de manœuvre était donc très limitée surtout avec un jeu sorti il y a 5/6ans. J’ai immédiatement testé la première version des outils mis à notre disposition, à savoir, un jeu et un tool permettant de décrocher la caméra du personnage lors des phases de gameplay. Le but étant de réaliser une moodtape et de voir où il était possible de se diriger créativement ainsi que tester les limites techniques du procédé.

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Storyboard d’Andrea Chiampo

JM : Nous ont rejoints par la suite des captures artists qui venaient tout juste de boucler Detroit. Enfin, le concept artist Andrea Chiampo est venu nous prêter main-forte pour des scènes de visions très singulières. C’est à peu près là que mon travail s’arrête.

FD : Comment insuffler de la fraîcheur à une histoire déjà racontée à certains tout en proposant une genèse cohérente pour les néophytes d’Amanda Ripley? Avec Andrea nous avons travaillé sur de nombreux artworks allant du travail de Gustave Doré (notamment l’enfer de Dante) à Satoshi-kon (Paprikra), afin de pousser le concept de voyage intérieur et de distorsion de la réalité à son maximum. Proposer un récit-cadre accompagné d’une narration était un élément intéressant, car il nous permettait d’ajouter le point de vue d’Amanda sur sa propre aventure, de densifier sa backstory tout en nous permettant de brouiller les pistes temporelles et de rafraîchir le flow de la narration. Les visions/cauchemars nous permettaient d’avoir une liberté artistique totale dans laquelle le sensoriel et la fantasmagorie fusionnent afin de proposer notre propre digestion de l’univers Alien.L’autre élément important était celui de la faisabilité technique, vous décrochez la caméra d’un jeu en vue subjective et vous vous retrouvez devant un constat accablant, le personnage n’est composé que de bras et de jambes, il fallait donc réintégrer une Amanda dans notre histoire à base de motion capture, impliquant de jongler avec deux technologies très différentes. Tout ceci a pu voir le jour avec DVgroup, avec qui nous avons notamment développé une caméra virtuelle, un outil qui nous permettait de cadrer dans le jeu comme si nous y étions, caméra au poing. L’idée était de ramener un peu d’habitude de tournage live. Encore une fois ici, tout était neuf, on a pu donc customiser l’outil et son interface au jour le jour et gagner en ergonomie. Notre studio de tournage a vite porté le nom de «safari», car fonctionnant à partir du jeu et de son procédé systémique, il était quasiment impossible de prévoir les apparitions des xénomorphes… De belles heures de frayeurs avec nos deux capture artists, qui ont passé des heures à traquer, piéger les créatures Gigeriennes afin de nous ramener les meilleurs plans possible. Munis de ces nouvelles armes, nous sommes entrés dans le dur, à savoir la fabrication des sept épisodes. Le temps était compté, la technologie assez capricieuse, tout était prêt pour vivre une aventure haletante.

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Storyboard d’Andrea Chiampo

Les nouveaux éléments cinématiques
FD : Le travail a été séparé en deux éléments bien distincts. Le premier, raconter l’histoire du jeu basé sur le moteur de ce dernier en respectant le scénario fourni par la FOX. La structure narrative étant liée au jeu et donc majoritairement aux cinématiques pour les premiers épisodes, il a fallu dans un premier temps accompagner ces dernières puis peu à peu s’en affranchir et bâtir notre propre langage basé sur les phases de gameplay. Le second consistait à développer notre proposition créative. Nous avons défini une sorte de cadre avec le récit dans l’espace qui accompagne chaque épisode. Ce récit devient l’élément principal du dernier épisode, et permet ainsi de boucler la narration du jeu. Les visions à l’origine prévues pour servir de raccord organique entre souvenirs et présent ont finalement trouvé leur place dans cet épisode, en se transformant en cauchemars lors des premières minutes.

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L’équipe française
FD : Nous étions 4 ou 5 pour la majorité du travail, mais j’étais entouré de gens talentueux qui ont vraiment facilité mon travail. On a travaillé en flux tendu sur la partie capture d’images et montage. En parallèle, accompagnés par une équipe de développeurs de DVgroup, on a pu organiser, malgré la timide économie du projet, plusieurs jours de tournage en motion-capture pour réinjecter le personnage d’Amanda dans les scènes jugées essentielles. Enfin Image in work et Titrafilms nous ont rejoints, le premier pour la postprod images et les CGI, le second pour le son. Le projet a été dès le début voué à être un peu punk dans son processus de création : en raison de l’âge du matériau d’origine, il fallait mélanger plusieurs technologies, plusieurs manières de travailler, cela représentait un énorme challenge et chaque membre de l’équipe a joué le jeu à 200%. Quand j’y repense, arriver au bout de ce projet revient du miracle.

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Les relations avec Fox
FD : Elles ont été excellentes. L’échange a été très fructueux, les discussions ont toujours été galvanisante, on se challengeait constamment, nous, avec notre folie de vouloir tout déconstruire narrativement et créer une œuvre atypique, eux, en maintenant une trajectoire claire et maîtrisée et ordonnant les idées.

JM : Ca a été très fluide. Ils sont ultra impliqués. On comprend assez vite qu’on est loin du concept d’auteur à la française. Mais ce n’est pas du tout désagréable de se laisser porter par une équipe qui a un cap.

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Le rapport des auteurs à la saga
JM : L’Alien original de 1979 est mon film d’horreur préféré. Sa plastique, son rythme m’obsède. Les personnages du Alien de Fincher m’ont pas mal bousculé à l’époque. J’ai aussi des souvenirs fous de la visite d’une expo Hans Ruedi Giger avec Marc Caro avec qui j’ai eu la chance de collaborer avec sur des projets personnels. Donc en un mot: omniprésence.

FD: Il y a clairement eu un avant et un après concernant ma rencontre avec les xénomorphes. C’est le seul monstre de cinéma qui a su vraiment me terroriser dans mon enfance. Le principe de se retrouver face à une créature «parfaite» que l’on ne peut pas vaincre et qui nous surpasse en tout point m’a toujours vraiment fasciné. Donc même si pour moi le premier film reste le monolithe de la saga, les suites ont su donner une vision singulière de chaque réalisateur qui en avait le contrôle. Mais mon fantasme de fan s’est réalisé il y a peu avec la sortie en comics de l’adaptation du projet Alien 3 de William Gibson.

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